Ces derniers jours, les animaux semblent investir des zones laissées vacantes par les humains.
Cela s’explique par plusieurs raisons : « Déjà, nous sommes confinés, donc plus attentifs aux animaux qui sont présents en ville.
De plus, la pollution sonore a considérablement diminué ; ce qui donne envie aux animaux de se déplacer.
Nous savons que dès que l’homme relâche sa pression, les animaux reviennent », explique Rémi Luglia, président de la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN).
S’il est encore trop tôt pour mesurer efficacement l’évolution du comportement des animaux pendant cette période de pandémie, il est clair que ces derniers prennent leurs aises et pour cause : l’humain ne les traque plus.
«En 1968, le castor d’Europe a été protégé.
Il a donc retrouvé des comportements oubliés et s’est par exemple remis à construire des barrages », rappelle Rémi Luglia.Le président de la SNPN se veut malgré tout lucide : « La présence d’animaux en ville et aux abords des villes peut être due à d’autres facteurs, comme la recherche de nourriture.
D’autre part, ce ne sont pas de nouveaux animaux qui arrivent, mais des espèces déjà présentes sur les territoires qui sont plus visibles. »
Profitant du confinement italien mis en place dès le 9 mars, les eaux des célèbres canaux de Venise (Italie) ont perdu leur turbidité et ont été de nouveau investis par les poissons et les oiseaux aquatiques (fou de bassan, cygnes…).
Des dauphins se sont également aventurés dans le port sarde de Cagliari, pourtant l’un des plus grands ports maritimes italiens.
Dès le 23 mars, à peine une semaine après le confinement en France, les agents du Parc National des Calanques dans le sud de la France remarquaient qu’ils « ont vu beaucoup de ‘vie’ lors de leurs dernières patrouilles : dauphins, puffins, fous de bassan, thons, hérons…
La fréquence et la densité des observations sont inédites..
Dans le même parc, 2 rorquals communs ont été observés par l’Unité littorale des Affaires Maritimes des Bouches-du-Rhône (ULAM13) près des côtes !
Cette rencontre avec le deuxième plus grand animal du monde intervient après 3 semaines d’observations naturalistes très riches
Elle est indice supplémentaire d’un probable effet du confinement sur le comportement de la faune sauvage », précise le Parc.
Enfin, le 9 avril, un requin – dont l’espèce n’est pas identifiée a été surpris à quelques mètres de la plage, dans à peine un mètre d’eau.
Sabrina Barré, étudiante l’a aperçu de sa terrasse croyant voir un dauphin.
Il est resté quelques minutes à faire des allers-retours puis est reparti vers le large.
Dans tous les cas, sa présence devrait dissuader d’éventuels baigneurs qui ne respecteraient pas le confinement.
Plusieurs espèces de requins sont présentes en Méditerranée et certaines sont même imposantes comme en témoigne cette observation exceptionnelle de fin juin 2018 près des côtes espagnoles.
« Le meilleur cadeau que l’Homme ait fait à la nature depuis longtemps »
Les deux spécialistes de la nature s’accordent à dire que si le confinement représente une période de souffrance pour les êtres humains, les autres espèces s’en réjouissent.
« Les animaux des parcs et jardins qui sont actuellement fermés dans Paris peuvent se reproduire tranquillement », remarque l’ornithologue de la LPO.
Son organisation a d’ailleurs relancé son opération « oiseaux des jardins » qui invite les citoyens à compter les volatiles depuis chez eux.
De manière générale, « moins les animaux voient l’Homme mieux ils se portent », ajoute-t-il.
Pour Rémi Luglia, ce confinement est même « le meilleur cadeau que l’Homme ait fait à la nature depuis longtemps ».
Les déplacements étant limités et contrôlés, la mortalité des animaux en est fortement diminuée, comme c’est le cas par exemple pour les hérissons et les chevreuils.
De plus, les couvre-feux instaurés dans certaines régions rendent la vie nocturne des animaux plus paisible.
Avec le confinement, la biodiversité et l’écosystème semblent reprendre sens :
Si les bords des routes ne sont plus tondus, ni les haies, la végétation sauvage va pouvoir se développer, fleurir, faire des graines, donc les insectes vont revenir, eux-mêmes dévorés par des insectivores, eux-mêmes la proie de carnivores, etc.
Le cycle naturel va pouvoir s’accomplir plus facilement. », illustre le président de la SNPN.
Pour lui, ce confinement « rend visible la pression habituellement exercée par l’Homme sur la nature
Quant à l’arrêt d’une grande partie de l’activité aérienne, il n’a pas d’impact sur les migrations des oiseaux puisque ceux-ci volent à 2000 mètres d’altitude, quand les avions circulent à 10 000 mètres de haut », explique Frédéric Malher.
Seulement, l’immobilisme des avions fait du ciel un espace dépourvu de trainées de condensation, laissant un environnement plus sein aux animaux.
« Il pourrait aussi advenir, avec la diminution du bruit, que plus d’oiseaux migrateurs s’arrêtent en ville pour faire une pause », ajoute le spécialiste.
Le futur déconfinement : le retour de bâton pour la vie sauvage
Il ne faut pas crier victoire trop vite. « L’érosion de la biodiversité est une réalité dont la communauté scientifique a fait le constat à l’échelle planétaire.
Les experts scientifiques de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques ) ont, dans leur rapport publié en mai 2019, fait le constat qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction et que l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 % en moyenne depuis 1900.
Ils en précisent l’origine humaine dont principalement le changement d’occupation des terres », nous rappelle Serge Planton climatologue, ex-responsable de l’Unité de recherche climatique au centre de Recherche de Météo-France et membre de l’Association Météo et Climat.
Il ajoute : « les quelques témoignages actuels de la présence d’animaux sauvages là où ils étaient absents témoignent moins d’une nature qui aurait repris ses droits que d’une urbanisation qui a empiété sur les habitats de ces animaux qui se déplacent maintenant avec plus de facilité dans des rues ou des parcs désertés par les êtres humains. »
Si la chasse et la pêche sont interdites durant toute la durée du confinement, il reste possible de chasser les « nuisibles » ; à savoir les sangliers et les renards.
Une aberration pour Rémi Luglia : « Le renard consomme 8 000 campagnols par an et ce sont ces campagnols qui mangent les cultures, donc si on veut les protéger efficacement il ne faut pas chasser les renards. »
Le campagnol des champs est un mammifère rongeur présent partout en France.
Il consomme des graminées, pousses et racines, graines, bulbes, et accumule des provisions.
Pesant entre 15 et 50 grammes, il mange environ deux fois son poids en matière verte par jour.
Pour l’ornithologue Frédéric Malher, il faudra redoubler de vigilance lors du déconfinement : « S’il est progressif, les oiseaux pourront s’y adapter, mais il ne faut pas que ce soit brutal », prévient-il.
Ce qui inquiète Rémi Luglia, c’est la reprise du trafic routier : « Les chevreuils vont faire face à des millions de véhicules qui vont revenir sur les routes. »
Au-delà des voies de circulation, les espaces verts qui n’avaient pas été entretenus pendant le confinement vont être aménagés et des espèces animales vont être tuées.
Autre triste exemple : « Les champs vont être moissonnés et les nids de busards ne pourront pas être retirés par les bénévoles des associations de protection de la nature car ils sont confinés », constate le président de la SNPN.
Les busards sont des rapaces qui vivent dans les campagnes françaises.
Ils nichent à même le sol dans les champs de blés : ce qui met en danger leurs petits lors des moissons.
Les trois espèces (busard cendré, busard Saint-Martin, busard des roseaux), comme tous les rapaces, sont protégées en France selon la loi du 10 juillet 1976 (arrêté d’application du 17 avril 1981).
Si le confinement est l’occasion de se recentrer sur soi-même, ses objectifs et ses valeurs, les organismes de protection de la nature aimeraient aussi que l’on s’interroge sur notre impact sur l’environnement :
« Ne serait-ce pas le moment de repenser notre rapport à la nature ? », conclut Rémi Luglia.