Les bêtes sont loin de l’être.
Les dernières avancées pourraient mettre fin à la « suprématie » humaine.
« L’hélium 3 solide: un antiferromagnétique nucléaire ».
L’auteur de ce roboratif article de physique, publié dans les années 1980 par la vénérable revue La Recherche, s’appelle F. D. C. Willard.
Cet éminent scientifique a apposé sur la publication sa signature…
Une empreinte encrée de sa patte.
Car Willard est un chat siamois.
Son maître, le mathématicien et physicien Jack H. Hetherington de l’université du Michigan, véritable auteur du texte, a jugé son animal si doué qu’il l’a intronisé chercheur!
Les chats préfèrent poursuivre les souris plutôt que de jongler avec les atomes à basses températures.
Quoique… Une intelligence est avérée chez les félins domestiques, doués d’une très bonne mémoire qui leur permet, par exemple, de résoudre des problèmes afin de s’adapter à leur environnement.
Et les chats ne sont pas la seule espèce animale capable de discernement.
Au contraire: la science la plus récente démontre que nos amies les bêtes ne le sont pas du tout et que certaines d’entre elles sont carrément de grosses têtes!
Stars en leur royaume animal, voici Inky, Kanzi et Alex.
Capacités cognitives développées, identifications complexes, compréhension du langage…
Ces bêtes n’ont pas grand-chose à envier aux Homo sapiens qui les ont observés.
Inky la pieuvre sauvage devait s’ennuyer dans l’aquarium national de Nouvelle-Zélande où elle était enfermée: elle s’est faufilée à travers une petite ouverture de son réservoir, et des empreintes de ventouses montrent qu’elle s’est frayé un chemin vers un tuyau d’évacuation des eaux se déversant dans l’océan.
Kanzi le bonobo a fabriqué des outils en pierre et, entraîné par la primatologue Sue Savage-Rumbaugh, s’est montré capable de comprendre la signification de 3000 mots.
Quant à Alex, le perroquet gris du Gabon, il pouvait discuter avec l’éthologue Irene M. Pepperberg grâce à un vocabulaire de 150 mots, nommant une cinquantaine d’objets différents.
Les formes multiples de l’intelligence animale
On pourrait multiplier les exemples.
Ces dernières années, la science des animaux n’a cessé de progresser, après il faut le reconnaître des siècles d’arrogance humaine, où l’animal n’était à nos yeux qu’une bête sans cervelle.
Grâce aux apports de la génétique, des sciences cognitives ou encore des spécialistes de l’évolution, on sait aujourd’hui que l’intelligence animale revêt de multiples formes, et qu’elle n’est pas l’apanage des espèces dites supérieures (primates, mammifères marins…).
La plus humble des bestioles aurait son moment eurêka.
Témoin, cette étonnante expérimentation lors de laquelle des chercheurs canadiens ont mesuré la mémoire de mollusques aquatiques, aptes à apprendre et à retenir une procédure simple (changer de mode de respiration dans une eau faiblement oxygénée) jusqu’à trois jours!
Certains, toutefois, n’en démordent pas: l’intelligence serait le monopole de l’homme; ce qui lui aurait permis de dominer la planète et ses animaux, petits et grands.
Personne ne niera, en effet, que c’est un cerveau d’Homo sapiens qui a développé la théorie de la relativité générale ou pratiqué la greffe coeur-poumons.
Mais la rigueur nous incite à ne pas comparer les espèces quand les critères qui définissent l’intelligence ont été forgés par une seule…
Emmanuelle Pouydebat, chercheuse au Muséum national d’histoire naturelle et auteure de L’Intelligence animale (Odile Jacob, 2017), propose d’adopter une définition simple, cohérente avec ce qui est commun à toutes les espèces vivantes: l’adaptation la meilleure d’un individu à son milieu.
Ainsi, être intelligent pour un humain, un chimpanzé, une tortue, une grue cendrée, c’est sa capacité à répondre avec flexibilité à une situation nouvelle ou complexe.
Le cacatoès expert en ingénierie
Ce qui signifie que raisonner, communiquer par le langage, planifier, mémoriser, apprendre, manier la complexité, faire preuve de créativité sont autant de comportements intelligents.
Insectes sociaux, les abeilles ont, à juste titre, une réputation flatteuse: elles peuvent voler à 10 kilomètres de leur ruche et retrouver leur chemin, mémoriser et jauger les sources de nourriture en fonction de leur concentration en sucre et de l’heure de la journée…
Une récente étude a montré qu’elles avaient des raisonnements sophistiqués: classer par catégories et utiliser des relations abstraites liant les objets.
Pas mal pour un insecte dont le cerveau comprend 100000 fois moins de neurones que celui d’un humain!
Le cacatoès de Goffin, joli perroquet indonésien au plumage blanc et à l’oeil bleuté, est, lui, habile en ingénierie.
Une équipe de recherche de l’université de Vienne, en Autriche, a révélé que l’oiseau pouvait résoudre un problème mécanique complexe afin de retirer une noix enfermée dans une boîte protégée par cinq serrures dotées d’ouvertures différentes.
C’est ce que l’on appelle un problème à résolution séquentielle, tâche cognitive perfectionnée où il faut anticiper l’objectif à atteindre.
Les verrous ont été examinés, puis testés à l’aide du bec et des pattes, et l’ouverture accomplie en deux heures.
Le cacatoès a-t-il « compris » le problème?
Nul ne le sait, mais il semble en tout cas être capable d’apprentissages organisés en vue d’un objectif à atteindre.
L’intelligence ne se résumerait pas à la seule capacité d’abstraction.
Chez les humains et les non-humains, elle passe par le social pour éclore chez un individu: apprentissage en famille, interactions au sein d’un groupe ou d’une société…
A ce jeu-là, les animaux ne nous ont pas attendus.
La transmission d’un savoir-faire prend parfois un tour étonnant, comme chez ces crocodiles qui apprennent à leur progéniture à tromper les oiseaux qu’ils veulent croquer en garnissant leur tête de brindilles.
L’utilisation d’outils, parfois sophistiqués, est apprise par les jeunes chimpanzés qui observent et imitent les adultes en train de casser des noix, voire ingérer certaines herbes purgatives pour se soigner.
Il s’agit là de véritables pratiques culturelles, intelligentes.
Conscience de soi, altruisme, émotions…
Alors, si les bêtes parlent, calculent, apprennent, innovent, que nous reste-t-il?
La conscience de soi?
L’élan altruiste?
Le ressenti des émotions?
Là encore, les dernières découvertes de la science ont montré que les animaux connaissent des états mentaux sophistiqués.
Le test du miroir, inventé dans les années 1970, permet d’évaluer la conscience de soi en déterminant si un animal reconnaît son propre reflet dans un miroir comme étant une image de lui-même.
Il a été passé avec succès par les grands singes, les dauphins, les orques, les éléphants, les cochons, les pies et, dernièrement, par les macaques.
Certains chiens et chats y parviennent parfois également
Quant aux émotions…
En observant, ce printemps, des aras du zoo de Beauval, dans le Loir-et-Cher, deux chercheuses ont remarqué que sur les joues de certains de ces perroquets apparaissait parfois une coloration qui pourrait faire penser au rougissement des humains lorsqu’ils sont gênés ou amoureux!
C’est tout à fait possible, selon ces chercheuses, pour des oiseaux avec de si remarquables aptitudes cognitives et sociales.
A la vérité, l’homme montrerait un vrai signe d’intelligence… en s’inspirant, parfois, des animaux pour faire face aux bouleversements planétaires à venir.
C’est le projet d’une université d’été sur l’intelligence animale organisée fin août par Yolaine de la Bigne, auteure de L’animal est-il l’avenir de l’homme? (Larousse).
On y apprendra des chevaux, des requins, des araignées… sans trop faire les malins.