Martinet noir, verdier d’Europe…
En 10 ans, l’Observatoire des oiseaux de jardin a constaté un déclin de 41 % des populations au printemps, en France.
Un comptage est organisé ce weekend : tout le monde peut y participer.
« C’est une hécatombe.
Depuis dix ans, on constate un déclin de 41 % des populations françaises d’oiseaux au printemps », résume Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Ce chiffre, c’est celui calculé par l’Observatoire des oiseaux des jardins, un programme de sciences participatives lancé en 2012 par la LPO, le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’Office français de la biodiversité, qui parle d’un bilan alarmant.
Plus surprenant : en hiver, c’est le contraire.
Les comptages ont mis en évidence une augmentation des populations depuis dix ans.
Ce n’est pas pour autant une bonne nouvelle : originaires des pays froids, Les oiseaux migrateurs s’arrêtent en effet chez nous, où il fait doux, au lieu de se fatiguer à descendre plus au Sud.
Pourquoi une telle disparition au printemps ?
La présence du martinet noir, par exemple, s’est réduite de 46 % depuis 2013.
Une baisse qui peut notamment s’expliquer par les réaménagements de façades dans les villes.
« Cela obstrue les cavités, où nidifient les oiseaux », précise Allain Bougrain-Dubourg.
Autre explication : la disparition des insectes, principale ressource alimentaire de cet oiseau au plumage sombre, en raison de la généralisation de l’usage des pesticides et de la dégradation des habitats naturels.
Même cause pour le verdier d’Europe, dont la population a baissé de 46 % au printemps depuis 2013, ou les mésanges bleue et charbonnière (-17 %).
« L’agriculture intensive est responsable, rappelle Allain Bougrain-Dubourg.
Et ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’IPBES [la plateforme des Nations unies sur la biodiversité]. »
Le président de la LPO l’affirme sans détour : si nous voulons préserver ces populations, nous devons « revisiter notre mode de vie ».
« C’est un changement de paradigme sur les thèmes de l’agriculture intensive, de l’artificialisation des sols… », énumère-t-il.
Des oiseaux migrateurs qui ne descendent plus au sud
À l’inverse, en hiver, la fauvette à tête noire enregistre une hausse de 57 % depuis 2013.
C’est même + 83 % pour le chardonneret élégant.
« Cela s’explique parce que ce sont des oiseaux qui sont originaires du Nord ou des pays de l’Est, et qui viennent d’une certaine manière se réfugier chez nous », profiter d’hivers de plus en plus doux, indique Allain Bougrain-Dubourg.
Au lieu de descendre davantage au Sud, et de se répandre dans les campagnes comme ils pouvaient le faire il y a quelques décennies, ils privilégient désormais les jardins dans les zones nordiques, où ils trouvent davantage de ressources alimentaires (insectes ou mangeoires artificielles installées par des amoureux des oiseaux).
« Au lieu de faire un long voyage risqué, ils restent dans les zones nordiques »
« En Grande-Bretagne, nos collègues ont constaté qu’il y avait de plus en plus de fauvettes à tête noire qui passaient l’hiver chez eux, raconte Benoît Fontaine, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle.
Ils ont réussi à relier ça au nourrissage : là-bas, il y a énormément de jardins avec des mangeoires.
Cela a probablement modifié le comportement des fauvettes qui, au lieu de faire un long voyage risqué, restent dans les zones nordiques où elles sont sûres de trouver de la nourriture.
Cela leur permet de revenir plus vite à leur zone de nidification au printemps. »
À tel point que des modifications morphologiques sont observées chez les fauvettes qui restent au nord de l’Europe : un bec qui change de forme pour se nourrir plus facilement sur les mangeoires, dont la taille des ailes diminue…
Toutefois, prévient le chercheur, même si davantage d’oiseaux sont recensés en hiver, cela n’atténue pas la situation dramatique au printemps :
« L’hiver, il y a des interférences avec d’autres facteurs, liés notamment au changement de comportement des oiseaux.
Alors qu’au printemps, on obtient les « vrais chiffres » des populations françaises d’oiseaux. »
Donc, un déclin de 41 % en dix ans.
Plus de six millions de données collectées
Ces données reposent sur les observations de simples citoyennes et citoyens.
Mais leurs résultats confirment les tendances observées dans la nature par les ornithologues.
Aujourd’hui, après dix ans d’utilisation, la LPO affirme que l’Observatoire est « le plus important dispositif français de sciences participatives impliquant le grand public ».
Chiffres à l’appui : alors que seulement 3 000 jardins étaient observés en 2012, ils étaient plus de 24 000 en 2022, répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain.
En dix ans, plus de 85 000 participants ont été recensés.
« Cela représente six millions et demi d’observations.
On commence à engranger des données significatives », se félicite Allain Bougrain-Dubourg.
« Ce ne sont pas des mesures au doigt mouillé, dit rappeler Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle.
Tout ce dispositif s’appuie sur des protocoles scientifiques très rigoureux, qui permettent de construire des tendances. »
Des protocoles rigoureux, mais volontairement simples :
« On peut participer partout, se réjouit Marjorie Poitevin, responsable de l’Observatoire des oiseaux des jardins.
Si on a un jardin ou un balcon à soi, à la ville, à la campagne, ou même dans un jardin public.
C’est un programme qui est vraiment ouvert à tout le monde. »
Des outils d’aide à l’identification des oiseaux sont mis à disposition des participants.
Ceux-ci doivent ensuite compter régulièrement les volatiles qui apparaissent dans leur jardin, et transmettre leurs observations sur la plateforme en ligne.
Un prochain comptage officiel est organisé les samedi 28 et dimanche 29 janvier.
« Ces comptages sont très importants, parce que l’oiseau est un indicateur de l’état de la biodiversité, dit Allain Bougrain-Dubourg.
Lorsque les populations d’oiseaux sont en nombre, c’est le cortège du vivant, les insectes, les mammifères, les batraciens, qui s’épanouit.
En revanche, quand les oiseaux disparaissent, la biodiversité s’estompe. »
Source : Reporterre