Presque un oiseau sur cinq est menacé d’extinction en Europe.
Ces chiffres ont été publiés en 2021 dans le rapport sur la liste rouge européenne des oiseaux menacés réalisé par l’ONG Birdlife.
Pour sauvegarder la diversité parmi les espèces volantes, on est souvent tenté de les nourrir en hiver.
Cette pratique a des bénéfices, mais aussi des inconvénients, nous allons essayer de les aborder ensemble.
Un manque grandissant de nourriture
“Il faut faire des friches.” Didier Renson, membre de la LPO Corrèze (que nous avions interviewé dans le numéro 16 de la revue) plaide un retour à des îlots de nature pour le bien-être des oiseaux.
Les jardins des particuliers sont souvent tout propres, sans herbe haute ni arbre mort.
Pourtant, ce sont ces habitats-là qui sont indispensables pour sauvegarder les volatiles.
Beaucoup d’oiseaux consomment des insectes au moment de leur reproduction, puis des graines au cours des mois les plus froids.
Les haies et les graminées offrent de la nourriture de choix pour les oiseaux.
Pour pallier la disparition de ces espaces, beaucoup sont tentés de nourrir les oiseaux, parfois à raison.
En France, on estime qu’environ 20% des habitants remplissent des mangeoires sur le balcon ou dans le jardin.
Ça parait beaucoup ?
Aux États-Unis, ce serait près de 50% de la population qui nourrirait les oiseaux et en Angleterre jusqu’à 70% des habitants.
Connaître pour mieux protéger
Lorsque l’on nourrit les oiseaux, cela permet aussi de les observer.
Les oiseaux peuvent parfois être timides quelques jours, mais rapidement ils colonisent les mangeoires.
“C’est aussi un agrément de nourrir parce qu’on peut les observer et quand on connaît, on aime plus et on protège” assure Didier convaincu.
De nombreuses espèces sont attirées par cette nourriture facilement accessible lorsque le gel fait son apparition en hiver
. “L’hiver, les mésanges qui sont en altitude descendent un peu.
On peut par exemple observer des mésanges huppées et noires, plutôt occasionnelles à la belle saison en basse Corrèze.
Si on a de la chance, on peut aussi contempler des tarins des aulnes, des pinsons du nord (en hivernage), des chardonnerets ou gros becs qui sont en général plus discrets.”
Comment nourrir les oiseaux ?
“Lorsqu’on nourrit les oiseaux, on privilégie souvent quelques espèces qui n’auraient pas forcément survécu.”
En mettant à disposition de la nourriture «open-bar» cela peut avoir des répercussions importantes sur les espèces.
“On nourrit exclusivement avec des graines de tournesol bio” explique l’ornithologue.
Il ajoute qu’il n’y a aucun gâchis : “ce qui tombe au sol est mangé par d’autres espèces soit insectivores, soit incapables d’ouvrir ces graines assez coriaces”.
Les rouges-gorges en font partie.
Les oiseaux ne sont généralement pas très difficiles.
Il leur faut juste des graines bio, non salées, non grillées.
Le passionné d’oiseaux conseille par ailleurs d’éviter les boules de graisse, surtout si ce sont des graisses issues d’une filière animale.
Évitons d’utiliser des boules dans les filets, cause de mortalité par étranglement des oiseaux qui veulent les utiliser plus tard pour la confection de leurs nids.
Il complète en ajoutant “il faut oublier le pain, ce n’est pas bon pour les oiseaux, c’est même une catastrophe.
Sec et salé, il assèche les voies digestives”.
Concernant la façon de nourrir, vous pouvez le faire dans une mangeoire en hauteur, bien à l’abri des chats et autres prédateurs.
C’est bien de nourrir sur une planche surélevée et toujours dans un endroit dégagé.
Là tout le monde vient, on peut observer jusqu’à une quinzaine d’espèces en hiver.”
Pensez à renouveler régulièrement les graines si elles ne sont pas abritées : elles risquent de moisir et des parasites pourraient s’y développer.
Un nettoyage régulier est de rigueur.
Il est utile de changer de temps à autre les lieux de nourrissage de façon à ne pas concentrer les déchets au même endroit.
Et d’éviter ainsi le risque de transmission de zoonoses.
Quand nourrir les oiseaux ?
“Nourrir ou ne pas nourrir, c’est un grand débat.” Didier Renson commence à remplir ses mangeoires dès les premiers gels, lorsque les insectes disparaissent.
“Une fois qu’on a commencé à nourrir, on rend les oiseaux dépendants, il faut donc continuer jusqu’à la fin de l’hiver sinon les oiseaux risquent de se trouver en situation difficile, obligés qu’ils sont de rechercher des sources d’alimentation bien plus rares en cette saison.”
Ce paramètre est très important à prendre en compte lorsqu’on donne à manger à des animaux sauvages.
Même si c’est pour leur bien, cela peut s’avérer être à double tranchant.
Un risque d’affaiblir les espèces
Bien nourris, les oiseaux perdent vite l’habitude de devoir trouver leur nourriture.
Au fil des générations alimentées, on remarque souvent l’augmentation du besoin d’assistance de la part des oiseaux.
De plus, nourrir les oiseaux aurait des répercussions sur la fréquence des chants nuptiaux.
Le site spécialisé Ornithomedia cite plusieurs études concordantes selon lesquelles “les mâles qui avaient accès à une source de nourriture supplémentaire démarraient leur chant nuptial plus tard le matin que les autres, ce qui pourrait avoir des effets négatifs sur leurs chances de se reproduire.
Ces chercheurs conseillent donc d’arrêter de nourrir les oiseaux dès la fin du mois de mars.”
On peut aussi lire dans cette même étude que les populations de mésanges nourries pondent plus tôt dans la saison et moins longtemps que sans l’intervention des chercheurs.
Le nombre d’œufs moyen par portée serait aussi moins nombreux.
Cela s’explique par le fait que ces oiseaux granivores en hiver ont besoin d’insectes pour assurer leur cycle reproducteur.
En nourrissant tardivement d’un régime alimentaire qui n’est pas adapté, on peut mettre en péril ces espèces.
Il faut donc être vigilant et nourrir les oiseaux uniquement lorsque c’est nécessaire, toujours en gardant en tête que l’on interagit avec des espèces sauvages.
Nourrir les oiseaux : un vecteur de transmission de maladies ?
En installant des mangeoires au jardin, comme l’explique Didier, cela attire un grand nombre d’espèces d’oiseaux qui n’ont pas forcément l’habitude de cohabiter.
Malheureusement, ce brassage social chez les oiseaux peut entraîner la transmission des pathologies et des parasites entre les espèces.
Sur son site, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs québécois recommande de «cesser temporairement de nourrir les oiseaux lorsque vous en observez qui sont malades ou morts à vos mangeoires.
Vous devrez alors désinfecter ces mangeoires et jeter les graines qu’elles contenaient.”
Les oiseaux habitués aux mangeoires ne sont pas les plus sujets aux transmissions de maladies.
En revanche, les oiseaux aquatiques comme les canards, les oies et les goélands sont porteurs de certains virus comme certaines formes de grippe aviaire.
Pensez à vous laver les mains lorsque vous nettoyez les mangeoires et objets souillés par des fientes.
Les oiseaux peuvent aussi transmettre certaines maladies aux humains, notamment la salmonellose.
Cela dit, les cas de transmission restent très rares.
Si une mortalité apparaît autour des mangeoires, il est utile d’avertir l’OFB ou la LPO locale afin de signaler la présence d’un foyer d’infection.
Les pinsons et les verdiers en sont les principales victimes.
Un bouleversement à de nombreux étages
Le nourrissage des oiseaux entraîne un remodelage de leurs habitudes.
Une étude publiée dans la revue Nature montre en effet plusieurs comportements inquiétants suite au nourrissage des volatiles sauvages.
En Angleterre, certaines espèces comme l’étourneau sansonnet ou le moineau domestique ont vu leur population nettement augmenter dans les lieux où ils étaient nourris.
D’autres espèces qui auraient moins de facilités à se nourrir aux mangeoires verraient leur population diminuer.
Depuis déjà deux décennies, les perruches à collier s’installent principalement dans les parcs des grandes villes.
Elles sont l’une des espèces les plus favorisées par le nourrissage, au détriment des espèces autochtones.
Elles sont plus grosses et plus agressives envers les autres oiseaux que nos espèces autochtones qu’elles chassent souvent des lieux de nourrissage.
Cependant, une étude publiée en 2020 met en avant que “D’après les recherches effectuées par le Muséum National d’Histoire Naturelle, la perruche à collier n’a pour le moment pas d’effet plus impactant sur les espèces de passereaux que les pies ou les autres espèces du même gabarit”, explique Emma Orban de la Ligue pour la Protection des Oiseaux d’Île-de-France, contactée par 30millionsdamis.fr
“La perruche à collier n’est pas à l’origine d’une concurrence mettant en danger les populations d’oiseaux d’espèces indigènes.
Elle est donc une pie comme les autres, ni plus ni moins !”, plaisantent les chercheurs.
Bonne nouvelle donc pour nos protégés à plumes.
Le nourrissage peut aussi entraîner le changement de la route migratoire d’espèces voyageuses.
Certains oiseaux migrateurs d’Europe centrale détournent leur trajet habituellement par la méditerranée en passant par le Royaume-Uni où la nourriture facilement accessible est en plus grande quantité.
Ce type de changement de comportement participe à l’affaiblissement de certains migrateurs.
Des conditions particulières
Nous nous sommes un peu fait l’avocat du diable, mais nourrir les oiseaux ne fait pas que leur rendre service.
Cependant, mettre à disposition des graines brutes comme le tournesol permet à de nombreuses espèces de survivre aux hivers difficiles.
Les années où l’on connaît un redoux suivi de froid tardif est souvent dévastateur pour les oiseaux.
En ayant accès à de la nourriture, ils augmenteront nettement leurs chances de survie.
Autre cas particulier, lorsque les oiseaux migrateurs remontent au printemps.
Ils arrivent ainsi en nombre et créent une forte pression sur les espèces sédentaires.
Il peut donc être intéressant de nourrir les oiseaux jusqu’à la réapparition des insectes, dès que le gel disparaît.
Les volatiles peuvent donc désormais s’alimenter sans notre aide.
Aménager son jardin pour les oiseaux
Selon la place que vous avez au jardin, vous pouvez installer des plantes pour la biodiversité.
Didier Renson conseille de planter des haies diversifiées.
Il cite par exemple le prunellier, et l’aubépine qui sont des sources de nourriture en baies et en insectes pour les oiseaux.
“Le pyracantha et le cotoneaster sont exotiques, mais les oiseaux raffolent de leurs baies” ajoute l’ornithologue de la LPO.
En installant des haies et des zones réservées à la biodiversité, vous pourrez ainsi prodiguer une alimentation variée et naturelle aux oiseaux.
Vous pouvez aussi installer des hôtels à insectes (ou n’importe quel aménagement pour les insectes) dans votre jardin afin de créer de futures proies pour vos protégés à plume.
Nourrir les oiseaux ou pas, je laisse la réponse ouverte avec de nombreuses pistes de réflexion.
Ces espèces souffrent de l’activité humaine et leurs comportements sont modifiés en profondeur.
Il faut donc agir en pesant toujours le pour et le contre de nos actions.
Dans tous les cas, il ne faut pas nourrir les oiseaux en dehors de la période froide (mi-novembre à mars environ).
Ici on plante des tournesols qu’on laisse sur pied pour le plus grand bonheur des oiseaux.
On ajoute aussi des graines lors des épisodes de froid.